Fantômes parisiens
À la mémoire de Bernard Dimey
Quand Dimey, au Gerpil, en promenant son ombredevise avec Simon, histoire de badiner,du bon temps où Mémère avalait sans encombrequatre ou cinq pastagas avant de déjeuner,remontant, titubant, vers la rue des Abbessesson spectre bienveillant taquine les putainsqui chassent le client en ondulant des fessespuisque tout leur viatique est dans leur popotin !Tout là-haut il rencontre à la place du Tertrequelques faux Utrillo devant leur chevaletqui peignent jour et nuit sans jamais se démettrefeu le Bateau lavoir pour quelque vieil Anglais.Il s’assied au bistrot et invite à sa tableGuillaume Apollinaire et ils parlent de Louqui jadis lui faisait des trucs inimitablesà fair’ damner cent fois monseigneur Dupanloup !Puis pour changer un peu il descend vers la Seine,choisissant avec soin son indécis parcoursafin de rencontrer tandis qu’il se promènetant d’esprits égarés dont le temps n’a plus cours.En chemin à mi-voix il redit son bestiaireoù s’entasse une faune d’amis disparus ;en égrenant leur nom comme on lit son bréviaireil célèbre à l’envi cent destins incongrus.Aux nymphes de Goujon, il boit à la fontaine,évoque du Bellay avec Germain Pilonet le cœur d’Henri II qui bat la prétentainetandis que rôde encore l’amante de Villon.Depuis le pont des Arts il salue au passagele Vert-Galant qui rêve à ses amours d’antanet descend de cheval et, pour tourner la pageembrasse Ravaillac : « Je n’ai plus mal aux dents ! »Notre-Dame à l’envers tremblote à l’eau du fleuvesur un rythme bien lent pour bercer un clodoqui s’endort sur le quai sans que rien ne l’émeuvetout en crevant de faim… le rouquin a bon dos !Il flâne encore un peu, mais quand le jour arrivechassant le noctambule à l’heure des regrets,sur la pointe des pieds le poète s’esquivecomme il quittait jadis, discret, les cabarets.
© Jac Kallos, Chansons grises
Jac Kallos est un visiteur du site, qui m’a envoyé son poème en octobre 2011, juste quand j’ai commencé à reconstruire le site. Merci à lui et visitez son site Le site de Jac Kallos.